

Redon 1919 La grippe espagnole
Souvenirs de Madeleine, infirmière à Redon en 1918 d’après un membre de sa famille :
Madeleine, 29 ans, participe à l’effort du pays. Infirmière bénévole à la Croix-Rouge, elle soigne les blessés à l’hôpital militaire annexe de La Retraite.
Le 27 octobre 19 18, Madeleine écrit à son père, militaire de carrière basé à Amiens, les petites nouvelles de son quotidien. Elle raconte être très prise à La Retraite: vu la qualité de leur organisation, on a changé la destination de leur hôpital annexe, devenu un centre de soin pour les soldats gazés; désormais, on leur demande de s’occuper des «hyperités», mais sans rien pour les soigner; elle précise que pour 17 lits, elle a reçu 30 brûlés.
Le personnel, sur la brèche depuis plus de quatre ans, est épuisé; cela fait tout à fait penser à la situation que nous avons vécu durant les confinements du printemps et de l'automne 2020.
De façon prémonitoire, Madeleine écrit: «Nous devons avoir la semaine prochaine des Américains; pourvu qu’ils ne nous amènent pas la grippe espagnole».
Madeleine n’a pas été touchée par la grippe mais sa maman en est morte à l’âge de 61 ans, en décembre de la même année, le lendemain du retour en catastrophe de la ville d’Amiens de son mari qui était toujours mobilisé.
Madeleine est la petite-fille de Noémie Dondel du Faouëdic, écrivaine, poétesse, musicienne, grande voyageuse, qui a désormais une place à son nom (parking de la gare).
Souvenirs de Josèphe , 93 ans :
« La famille habitait au début du siècle rue des Chambots au n° 22. Mon grand-père avait créé une menuiserie au fond de la rue (actuellement n° 5). Il était jeune et très dynamique. En 1905, il faisait du vélocipède quand il a été renversé par la seule automobile qui circulait alors à Redon. Il en est mort. Il a laissé une veuve et six enfants dont deux jumeaux de 4 ans.
Un des jumeaux était mon père. Ma grand-mère a dû vendre l’entreprise.
En 1918 les jumeaux avaient 17 ans, ils étaient apprentis menuisiers. Ils m’ont raconté leurs souvenirs de la grippe espagnole. Ils ont passé des jours et des jours à fabriquer des cercueils. Redon avait été transformée en ville hôpital de l’arrière pour accueillir dans ses institutions religieuses 2500 soldats blessés et/ ou malades.
Il y a eu beaucoup de morts de la grippe espagnole à Redon parmi ces soldats. Certaines des infirmières, jeunes femmes volontaires du pays qui les soignaient, n’ont pas survécu.»
Les frères jumeaux ont fondé ensuite leur propre entreprise, laquelle a habillé plus d’une centaine de paquebots, du Normandie (1931) au France (1960) et de bâtiments de la Marine Nationale.
Josèphe adolescente, pendant la guerre de 39 /45 se souvient d’avoir vu passer des défilés interminables de soldats blessés devant ses fenêtres (des polonais en 1940, des allemands en 1944 ). Elle est devenue la première infirmière «civile» de l’hôpital de Redon.
A la mort de son oncle, elle quitte l’hôpital pour aider à la direction de l’entreprise pour seconder son père. Elle est restée dans l’entreprise jusqu’à sa fermeture en 1978. Elle a ensuite passé le reste de sa carrière jusqu’à sa retraite comme directrice d’une maison médicalisée de personnes âgées sur la ville de Brest. Depuis elle vit à Redon, dans la maison de son enfance.
Souvenirs de Paulette , 94 ans, habitante de Redon depuis sa naissance :
« Mon père était l’aîné d’une famille de 7 enfants. Mon grand-père était couvreur de son état et il est parti à la guerre en 1914, alors qu’il avait déjà 4 enfants. Quand il a été tué en 1915, sa femme, ma grand-mère était enceinte. Elle a accouché de deux jumeaux en 1916. C’était la misère. Elle ne possédait qu’une vache, qu’elle menait sur les herbes des chemins pour la nourrir, et sa maison du Val. Les aînés ont été placés très jeunes. Toute la ville a aidé ma grand-mère à élever ses jumeaux. Mon père avait 17 ans en 1918, il était parti comme commis dans un moulin. Toute la famille du moulin a été prise par la grippe espagnole, le maître, la maîtresse, la grand-mère et les deux filles, sauf mon père. Il m’a raconté: «le docteur m’ a dit: tu te lèves le matin, tu bois du vin chaud dans lequel tu tremperas du pain avant de faire quoique ce soit d’autre.» Il a soigné toute la famille. La grand-mère n’a pas survécu.»
Paulette a été couturière toute sa vie à Redon et résume ainsi sa vie: «S’entraider. Vivre tout simplement parce qu’il le faut bien. »
Vivre le Covid 19 à Redon en 2020 en se souvenant du courage de Renée,
décédée depuis deux ans, redonnaise depuis sa retraite. Confinée elle aussi à 16 ans, elle a vécu cachée six mois à Paris dans une cave avec son frère parce qu’elle était juive. Elle a gardé dans ses affaires, jusqu’à la fin, l’étoile jaune que son père lui avait interdit de coudre sur ses vêtements. Son père n’a pu échapper à la Shoah et est mort à Auschwitz.
Elle a raconté un jour qu'avec sa mère et son frère, ils ont voulu aller passer des vacances en Bavière juste après la guerre. Elle expliquait combien leur pension de famille bavaroise était triste et s'étonnait encore du geste incroyable de sa mère qui s'était levée dans la salle de restauration, s'était mise au piano et joué du Beethoven pour redonner le sourire à tous ceux qui étaient présents.
Renée a eu une très belle vie, difficile souvent. Enseignante à la retraite elle s'est occupée jusqu'à la fin d'enfants en les aidant pour leurs devoirs au Centre Social et a animé le Club de l'Amitié des personnes âgées de son quartier.
Vivre le Covid 19 à Redon en 2020
En écoutant La Tendresse: Symphonie confinée, https://youtu.be/rEjvRktXe
d’après une chanson de Bourvil.
Monsieur Bourvil est né en Juillet 1917. Il n’a pas connu son père car ce dernier est décédé de la grippe espagnole en 1918.
Texte rédigé par Elisabeth Bourguet