

Le savent-ils ?
Aux lendemains d’un 11 Novembre de reconfinement, très particulier, je me promène dans la douce grisaille d’une fin d’après-midi et aperçois les scolaires se déverser sur la place du Parc Anger dans l’attente de leur car et suis frappée, en regardant l’exposition de photos sur la place, par la jeunesse des américains qui ont posé à Redon, un jour de l’année 1917/1918 devant l’objectif.
Ces scolaires savent-ils au moins que ces jeunes hommes portent l’uniforme américain et pourquoi ils ornent ainsi le nouvel espace au sud du pôle d’échanges multimodal ?
Ils ne se doutent pas en fait que les américains venus en renfort des français ont débarqués massivement dans les ports de Saint-Nazaire et de Brest. Que ces jeunes hommes n’avaient aucune expérience du combat et qu’on les entraînait dans les marais de Redon qui de ce fait , entendait gronder le canon toute la journée. Les américains apprenaient à tirer...
Ils ne se doutent pas que certains de ces soldats américains ont été casernés dans la ville, et que plusieurs d’entre eux sont venus sonner chez leurs anciens logeurs en 1944 lorsqu’ils sont revenus en terre de France pour à nouveau venir à notre rescousse.
Ils ne savent pas non plus que depuis des temps immémoriaux, Redon reçoit des régiments en garnison et que les archives débordent de petits détails concrets, à savoir comment recevoir un soldat, avec quelle paillasse, etc, etc.
La ville avait projeté de construire une vraie caserne à l’emplacement des halles actuelles et les hommes s’entraînaient sur ce même parc Anger où les scolaires stationnent en masse chaque soir de journée scolaire .
On a dans les archives , le nom de certaines de ces troupes, les exactions qu’elles ont pu commettre dans les temps troublés, où pour se nourrir , elles allaient voler des troupeaux en dehors de la ville. On sait que des troupes napoléoniennes ont stationné longtemps par chez nous, qu’elles gardaient les prisonniers espagnols qui creusaient le canal de Nantes à Brest. (Ces derniers mouraient en grand nombre de la malaria attrapée dans les marais insalubres à l’époque.) Le patronyme Rio ou Riaud,(si fréquent dans le pays de Redon) viendrait d’Espagne, de descendants de certains prisonniers ayant eu la chance de survivre et de faire souche au pays ?
On sait que la ville accueillit des troupes cosaques en 1815. Et puis on sait bien sûr , plus près de nous que les allemands ont occupé la ville en 1940.
Tous les souvenirs collectés auprès des vieux redonnais me reviennent : « couvre-feu, interdiction de se réunir le soir et de danser. » Tous les bals publics étaient fermés. « Rationnement » et donc commerce en grande crise...
Je me souviens aussi de cette histoire racontée par les redonnais des entrepôts de l’entreprise Baccarat (sur le site de la Stef , actuellement sur le lieu des nouveaux stationnements du pôle d’échanges multimodal, côté sud).
L’armée anglaise avait bourré ces entrepôts de vivres pour ses troupes débarquées à St-Nazaire. En Juin 40, les anglais ont confié le stock de vivres à monsieur Richer , maire de la ville afin qu’il profite aux habitants. Tout Redon s’est alors retrouvé avec des brouettes, des charrettes, des voitures pour vider l’entrepôt et cela a duré plusieurs jours.
Quand les allemands sont arrivés, ils ont exigé le retour des victuailles (Les redonnais ont dû obéir sans oublier évidemment d’en cacher la plus grande partie...) Ces entrepôts ont stocké durant toute la guerre, la nourriture des U-Boots de la base de St-Nazaire.
Savent-ils nos jeunes scolaires que juste à côté de leur Espace Jeunes, l’armée allemande avait construit un bunker de communication dirigeant de l’intérieur des terres, le mur de l’Atlantique ? Que ce bunker, construit si près de la voie ferrée, était de fait assez vulnérable aux bombes des alliés.
Il a donc été renforcé par rapport à d’autres bunkers pour être rendu indestructible.
Il était de fait, tellement indestructible que l’entreprise qui a dû le déconstruire en 2012 pour l’agrandissement du foyer des personnes âgées, a mis le double du temps prévu et a dû faire venir du matériel adapté. ( L’entreprise spécialisée dans ce genre de travaux sur bunkers allemands, n’avait jamais vu cela et a du coup, perdu beaucoup d’argent...)
Que d’efforts mis par les sociétés de naguère pour des entreprises de mort et de destructions. La guerre...
En haut du Parc Anger, je me retourne et aperçois les tours de l’abbatiale. La cérémonie commémorative du 11Novembre, cette année a eu lieu en comité restreint de six personnes pour cause de confinement. Je suis allée dans l’abbatiale, il y a deux jours, pour m’unir à cette commémoration. Aux pieds des deux grandes dalles où sont notées tous les noms des redonnais tombés en 14/18, une bougie rouge était allumée. Quelqu’un avait eu la même idée que moi...
Au milieu des scolaires qui arrivent de partout pour attendre leur car, je prends conscience, que je suis bien là, au bon endroit, pour me souvenir encore avec mélancolie, tristesse mais aussi admiration de tous ces hommes sacrifiés.
Je regarde mieux ces jeunes américains photographiés qui nous parlent avec leur sourire figé et leur pose fière.
Combien il a fallu de courage à ces générations pour traverser du mieux qu’ils ont pu, les terribles épreuves de cette guerre 14/18 sanglante et beaucoup plus terrible que celle que nous menons contre la Covid.
Et je les salue silencieusement en me promettant d’essayer de transmettre leur courage aux jeunes générations qui doivent apprendre à bâtir leur vie dans un monde qui a peur du Covid, des attentats. Du courage pour apprendre à vivre tout simplement, du mieux que nous pourrons.
Elisabeth Bourguet